Des mots, simplement des mots ...

Des mots, simplement des mots ...

Histoires vraies de la maréchaussée - Ils sont où les allemands ?

Ils sont où les Allemands ?

 





Au début des années 1980, dans un petit hameau isolé d'Auvergne, plus précisément dans le département du Puy-de-Dôme, les gendarmes d'une brigade rurale sont amenés à intervenir, dans une exploitation agricole tenue par deux sœurs.

Ces dames, déjà bien âgées, étaient fort connues des habitants du village pour leur comportement étrange voire irascible. Ce matin-là, les représentants de l'ordre étaient alertés par le voisin le plus proche des deux furieuses qu'elles avaient entrepris de déménager les meubles de leur habitation qu'elles entreposaient ou plutôt jetaient dans leur cour boueuse, au milieu des volatiles de la ferme qui venaient s'y percher, curieux et heureux de trouver là de nouveaux perchoirs.

Urgemment, les pandores se transportèrent sur les lieux. L'adjoint au chef de brigade, un maréchal des logis chef tout nouvellement nommé occupant dans l'estafette la place avant droite ordonnait au conducteur de s'arrêter à distance raisonnable de la ferme.

Prudence, prudence …

D'autant que l'homme qui avait donné l'alerte, se trouvait déjà caché derrière un muret de pierres sèches et observait avec beaucoup inquiétude les agissements des deux vieilles filles. Les gendarmes rejoignirent le témoin et accroupis - eux aussi - derrière le muret, ne pouvaient qu'attester de la réalité du déménagement qui prenait maintenant des proportions inquiétantes.

Les deux mégères, après avoir sorti les vieilles chaises en bois avec assise de paille de la cuisine, la table en formica puis divers petits meubles que l'on trouve traditionnellement dans toutes les cuisines, s'affairaient à jeter, par la fenêtre grande ouverte, les fourchettes, cuillères, couteaux et autres ustensiles ménagers.

Selon le témoin, ce remue-ménage singulier avait débuté à l'aube et visiblement les deux frangines ne semblaient pas vouloir s'arrêter avant d'avoir déménagé l'intégralité du mobilier et du linge de maison. Même si elles semblaient perturbées psychologiquement, les deux fermières devaient impérativement être ramenées à la raison, c'est ce que le chef des pandores allait essayer de faire.

Le militaire, âgé alors d'une trentaine d'années, venait d'être nommé au grade supérieur et avait pris ses fonctions comme adjoint au commandant de brigade. Fort de sa grande stature et de son autorité naturelle, il pensait pouvoir régler prestement l'affaire. C'était sans compter sur le caractère bien affirmé de ces dames qui, persistant dans leur déménagement, ne semblaient pas ou ne voulaient pas s'apercevoir de la présence du gendarme, qui au milieu de la cour et les mains sur les hanches, s'époumonait à les faire entendre raison, en évitant de recevoir la pluie d'objets qui s'abattait autour de lui.

Les deux vieilles folles continuaient sans se soucier de la présence des forces de l'ordre et montraient une détermination et une force incroyables en sortant de la cuisine, un vieux et lourd réfrigérateur qu'elles balançaient sans ménagement dans la cour, écrasant au passage quelques verres et assiettes. Ce n'était pas la valse des canards mais plutôt celle des couverts … que les deux folles faisaient voler par la fenêtre de la cuisine.

Finalement, n'ayant plus rien sous la main puisque la cuisine était totalement vidée, la plus âgée et la plus vindicative des deux consentit enfin à rencontrer le maréchal des logis chef tout en ordonnant à sa cadette de s'attaquer au déménagement d'une chambre située au rez-de-chaussée.





Bien évidemment, la première question du gendarme fut de connaître la raison de tout ce chamboulement et la réponse surprit tout le monde ; Odette (nous l’appellerons comme ça) affirmait qu'au cours de la nuit des soldats allemands étaient venus dans la ferme, qu'ils avaient emmené l'ancien mobilier pour le remplacer par tous ces objets. Imaginant de probables ennuis si la chose venait à se découvrir avec la Gendarmerie, la Kommandantur ou la Résistance, elles avaient décidé de les sortir du domicile convaincues que tout avait été volé.

Un abracadabrant dialogue allait alors s'installer entre le gendarme et la vieille folle. D'abord, il fallut les convaincre que la guerre était terminée depuis près de quarante ans et qu'aucun allemand n'était resté sur le territoire national avec un esprit belliqueux, ce qu'elles refusaient catégoriquement d'entendre.

L'aînée affirmait, bien au contraire, que toutes les nuits des soldats allemands venaient à bord de camions bâchés pour jeter, dans le champs se trouvant à l'arrière de la ferme, des dizaines et des dizaines de cadavres de suppliciés. Et que même, cette nuit encore, elle avait entendu les bruyants moteurs des camions militaires

Tout cela n'était qu'élucubrations de vieilles folles qu'il fallait impérativement démontrer. Le maréchal des logis chef décida qu'un prompt transport était nécessaire pour ramener à la raison Odette et sa sœur cadette. Ainsi, avec la certitude d'y découvrir un amoncellement de cadavres, Odette ouvrit la route et c'est d'un pas décidé, suivi du chef de la gendarmerie, des deux jeunes gendarmes Michel M et Frédéric S. qui se bidonnaient d'avance et de quelques paysans apeurés, qu'ils allèrent sur le chemin de terre jusqu'au dit pré. Force était de constater qu'aucun cadavre ne s'y trouvait. Mais Odette ne désemparait pas et ce malgré lui avoir fait observé qu'il n'y avait aucune trace visible d'essieu dans la terre et qu'aucune ornière n'avait été causée par des roues d'engins lourds.

Odette persistait et signait dans son délire. Elle affirmait et jurait ses grands dieux que les allemands étaient venus cette nuit, soit en repérage ou peut-être même avaient-ils déjà enterré les corps avec tellement de précautions qu'aucun mouvement de terre ne pouvait plus être repéré.

Avait-elle consommé de l'alcool ? Fumé un hallucinogène quelconque ? Que nenni ! Elle avait simplement les boyaux de la tête à l'envers, maladie apparemment contagieuse puisque sa cadette, très renfermée sur elle-même et absolument dominée, était atteinte du même mal.

Un médecin fut requis et le maire de la commune alerté.

C'est que la matinée touchait à sa fin et que la situation dans la cour de la ferme n'avait pas évolué d'un iota. Germaine, la cadette, continuait inlassablement à éjecter par la fenêtre d'une des chambres des piles de linges, des draps, des serviettes et des torchons, des oreillers et des couvertures tandis que son aînée tenait tête au chef de la gendarmerie. Et quand j'affirme qu'elle tenait tête, c'est qu'elle se trouvait à quelques centimètres du visage du gradé qui refusait de reculer de peur de montrer une quelconque faiblesse.

Force doit rester à la Loi et le chef tenta alors une approche plus subtile. En ramassant sur le sol, au hasard une cuillère à café en fer blanc, bien usagée, il expliqua à Odette que ce couvert n'avait aucune valeur marchande et qu'il était donc fort improbable qu'il eut été volé.

Après un bon quart d'heure d'un échange aussi absurde que vif, Odette accepta finalement l'argument du gendarme et s'emparant de la petite cuillère comme s'il s'agissait d'un bien précieux, alla la déposer sur la paillasse de l'évier de la cuisine. C'était une victoire pour la maréchaussée, petite victoire certes mais victoire quand même et comme Odette n'acceptait de converser qu'avec le chef de la gendarmerie et ne voulait voir personne dans la cour de sa ferme, le médecin, le maire, les deux gendarmes et la petite foule de paysans étaient priés de quitter les lieux et trouvaient tous refuge derrière le fameux muret protecteur.





Pour nous, l'affaire allait maintenant être rapidement réglée : la vieille demoiselle acceptant ce premier couvert allait forcément vite réintégrer l'ensemble de la vaisselle... enfin c'est ce que nous avions tous cru mais ce n'est que couvert après couvert, assiette après assiette, verre après verre que la vaisselle des deux frangines retrouvait enfin la cuisine qu'elle n'aurait jamais du quitter.

Comme le mobilier était encore dans la cour de la ferme, toute la vaisselle s'entassait sur et dans l'évier mais aussi à même le sol. Il fallait encore que le chef de la gendarmerie use de diplomatie pour le faire réintégrer dans la cuisine, et même s'il acceptait de se retrousser les manches pour accélérer le mouvement, les deux sœurs refusaient obstinément toute aide même si elles haletaient sous le poids du lourd réfrigérateur, qui maintenant cabossé retrouvait sa place.

À quatorze heures, le chef épuisé mais surtout assoiffé et affamé, décida de lever le camp. Odette fut donc avisée qu'il reviendrait dans l'après-midi et qu'alors tout devrait être rentré dans la maison. La vieille fille, la tête renfrognée des mauvais jours, fit semblant de ne rien entendre. Tous les témoins furent invités à rentrer chez eux. Le médecin et le maire quant à eux devaient revenir en fin de journée pour statuer sur le cas de ces deux folles-dingottes.

À dix-sept heures, l'estafette bleue des gendarmes fit de nouveau son apparition dans la cour de la ferme. Certes toute la cuisine avait retrouvé sa place mais le reste de la maison était toujours éparpillé sur le sol boueux de la cour. Les bois des lits avaient été démontés et jetés, les matelas, les sommiers, une table de chevet, des lampes sur pied …, des vêtements de femme, des chaussures, des grandes culottes, les folles avaient tout viré.

  • Ah les garces, les garces, s'exclama le chef des gendarmes, assis à l'avant droit de la Renault Estafette.

  • Bon, chef, on va vous laisser-là. On reviendra vous chercher à la tombée de la nuit !

  • Non, je vous ordonne de rester ici. Je ne veux pas rester seul avec ces deux dingues, on ne sait jamais ce qui peut arriver !

À la nuit tombée, une grande partie de l'ameublement était rentré et les deux frangines juraient enfin de tout terminer rapidement. Restait maintenant au médecin d'examiner les « déménageuses », il fut décidé que leur état mental, certes troublé, ne nécessitait pas un internement d'office et puisque tout était enfin rentré dans l'ordre.

Elles furent laissées dans leur ferme au grand désespoir du voisin le plus proche qui lui savait qu'elles étaient dangereuses comme nous le constaterons quelques mois plus tard.



02/11/2016
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi