Histoires vraies de la maréchaussée - Oups !
Oups !
Il fait bien trop chaud en ce début d'été de l'année 1983. Météo France commence d'ailleurs à évoquer la possibilité d'une forte vague de chaleur qui pourrait impacter le pays pendant plusieurs jours. Des spécialistes en gériatrie tout comme des médecins généralistes rappellent lorsqu'ils sont interviewés par les médias les conseils élémentaires de prudence et d'hydratation et invitent tout à chacun d'exercer une surveillance autant vers les plus jeunes enfants que les personnes âgées.
Pourtant, si aucun ne se risque encore à parler de canicule dont le nom trouve son origine dans le mot italien « canicula » qui désigne à la fois une petite chienne qu'une étoile de la constellation du Grand Chien qui se lève et se couche avec le soleil entre le 22 juillet et le 22 août, c'est bien cette canicule qui s'étend maintenant sur la France.
Des températures anormalement élevées, de jour comme de nuit, ont commencé depuis le 9 juillet. Partout des pics de chaleur, à plus de 33 °, sont enregistrés de Toulouse à Montélimar, il faut beaucoup trop chaud dans la moitié méridionale du pays, ce qui lamine physiquement les personnes même les plus résistantes. Les cabinets médicaux ne désemplissent plus : irritations cutanées avec de grandes plaques rouges dues à une transpiration excessive, œdème des pieds, des jambes des avant-bras, conséquence directe de l'augmentation du diamètre des vaisseaux sanguins mais aussi des crampes, une fatigue importante et des états de somnolence sont les principaux symptômes traités par les spécialistes de santé.
Dans les bureaux de la gendarmerie de cette bourgade au centre du département gardois, les gendarmes retardent le moment où ils devront être en poste de surveillance sur le bord des routes. Toutes les fenêtres des bureaux ont été fermées, les volets sont clos aux heures les plus chaudes et les gros ventilateurs achetés sur les deniers du personnel tournent en permanence. Mais les chiffres de l'accidentologie ne sont pas bons, le chef l'a dit, il y a une augmentation significative des accidents de la circulation routière au niveau de la circonscription que seule, une présence physique au bord du bitume est censée inverser.
En montant dans la Renault Estafette bleue, déjà les chemises se mouillent. Le képi met le cerveau en ébullition. Les deux militaires de la gendarmerie arpentent la route départementale qui conduit vers la Grande Bleue en cherchant désespérément un coin à l'ombre suffisamment dégagé pour permettre l'arrêt des véhicules en toute sécurité, mais avant tout à l'ombre.
Si on ne parle pas encore d'usage du téléphone portable au volant, les gendarmes verbalisent essentiellement les infractions génératrices d'accident comme la vitesse excessive, le non respect de la signalisation, le franchissement de panneau Stop ou de feux tricolores, le dépassement dangereux et depuis 1973 le non port de la ceinture de sécurité pour le conducteur du véhicule. Les passagers n'y seront astreints qu'en 1990. Sur la départementale D6110, entre Lédignan et Sommières, les gendarmes ont enfin déniché le poste de contrôle idéal. De cet emplacement, ils peuvent surveiller la longue ligne droite et surtout profiter de l'ombre des grands arbres qui bordent les vignobles.
La peur du gendarme est le commencement de la sagesse et les appels de phare signalant la présence des forces de l'ordre ont ralenti considérablement la vitesse de déplacement des automobilistes. Tous passent devant eux, la tête droite, le regard fixe regardant loin devant eux, comme un enfant qui aurait été surpris en faute.
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Tu verbalises quoi aujourd'hui, demande le plus jeune gendarme à son collègue que nous appellerons Patrick M.
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D'ici, je ne pourrais verbaliser qu'un franchissement de ligne continue, peut-être aussi si je le vois à temps un défaut de vignette fiscale ou une ceinture de sécurité.
Les minutes s'écoulent chaudement et bientôt ce sera une heure de passée au bord de la route. Le comportement des usagers est toujours aussi exemplaire. Pas l'ombre d'une infraction à la circulation routière pourtant la vigilance des deux gendarmes est à son maximum. Soudain, le gendarme Patrick M bondit, tel un lion sorti de sa cage. Le bras tendu vers le conducteur d'une luxueuse berline, il lui ordonne de se garer immédiatement sur le bord de la chaussée. En s'approchant du véhicule, le gendarme remarque que sa jeune et visiblement jolie conductrice est seule à bord. Elle est vêtue d'un chemisier très transparent qui ne cache rien de sa poitrine nue. Un coup d’œil sur …. la vignette fiscale, un regard furtif vers l'état du pneumatique avant gauche, le véhicule presque neuf est en parfait état.
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Bonjour Madame. Gendarmerie Nationale, pouvez-vous me présenter les documents afférents à la conduite et à la mise en circulation de votre véhicule, s'il vous plaît !
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??
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Les papiers du véhicule. Assurance, carte grise, permis de conduire !
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Ah ! Ils sont dans le coffre, dans mon sac de plage !
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Madame, je vais vous verbaliser. Vous n'avez pas mis votre ceinture de sécurité. Veuillez couper votre moteur, prendre vos papiers et m'accompagner jusqu'à l'Estafette !
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Heu …
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S'il vous plaît Madame, suivez-moi !
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Heu... Je ne peux pas !
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Vous ne pouvez pas ? Pourquoi ?
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Ben … Ben … !
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Ben quoi, dépêchez-vous, on ne va pas y passer le nuit. Pour la dernière fois, suivez-moi jusqu'au véhicule !
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Monsieur le gendarme, je ne le peux pas !
Le gendarme Patrick M en a vu beaucoup, au cours de sa carrière, de ces automobilistes qui par des excuses les plus improbables essayaient de se défiler pour ne pas être verbaliser mais il reste indécis au propos de cette jeune automobiliste. Visiblement, elle n'est pas dans un état d'ébriété, elle s'exprime clairement et intelligiblement et répond parfaitement aux questions qui lui sont posées. Elle ne semble pas avoir des problèmes de mobilité du moins rien ne l'indique alors il est perplexe et se demande quelle excuse la demoiselle va t-elle donner pour justifier son refus de le suivre à l'Estafette.
Le deuxième gendarme resté éloigné commence à se rapprocher. Il a compris qu'il se passait quelque chose d'anormal avec son chef de patrouille.
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Pour la dernière fois, sortez du véhicule ! Ne m'obligez pas à sévir ! Reprend d'une voix autoritaire le gendarme.
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Mais je vous dit et je vous répète que je ne le peux pas ! Répond visiblement gênée la conductrice.
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Vous êtes handicapée, blessée ? Vous conduisez avec un plâtre ? Lui demande le gendarme.
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Non.
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Alors suivez-moi !
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Je ne peux pas. Regardez par vous même, finit-elle par dire en l'invitant à jeter un coup d’œil à l'intérieur de l'habitable du véhicule.
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Oh ! Fit le gendarme Patrick M.
Ce fut la seule onomatopée qu'entendra le second de patrouille. Le gendarme Patrick a probablement changé de couleur et ce n'est pas le soleil ardent de ce jour de juillet qui lui a empourpré le visage.
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Mais, mais … vous êtes nue ?
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Oui, je suis désolée, je rentre de la plage naturiste et avec cette chaleur étouffante, je n'ai pas le courage de me rhabiller mais j'ai quand même mis mon chemisier ! Je vais aller chercher mes papiers dans le coffre, si vous voulez bien vous pousser un peu, je vais sortir.
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Heu, non. Je ne préfère pas ! Dans votre tenue, ce ne serait pas approprié, vous risqueriez de causer un accident de la circulation. Mettez votre ceinture et je vous remets en circulation.
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Merci, Monsieur le Gendarme.
Si force devait rester à la loi, les circonstances de ce contrôle routier et surtout la nudité de la conductrice ont obligé le gendarme à surseoir à la verbalisation. Faut dire que s'il avait fermé les yeux pour l'infraction au code de la route, il les avait auparavant bien ouverts !
Il n'empêche que bien des années plus tard, à l'heure de la retraite, l'ex-gendarme se souvient encore parfaitement de cette conductrice et évoque à qui veut l'entendre cet inhabituel contrôle routier, avec un malicieux sourire au coin des lèvres.
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