Histoires vraies de la maréchaussée - Alphonse, les mains vertes.
Alphonse, les mains vertes.
Tous les propriétaires ou locataires d'appartement savent bien qu'un dégât des eaux fait toujours suite, dans un ensemble collectif, à une rupture de canalisations, un débordement de baignoire ou à un robinet laissé malencontreusement ouvert … Mais ce qui est arrivé à ces habitants de cette commune du Gard est assez impensable.
Ce couple de retraités du Nord-Pas de Calais, appelé désormais « Les Hauts de France » ce qui, entre nous, perturbe sérieusement nos voisins belges qui sont totalement désorientés, comme le dit Danny Boon, avec dans le bas de la Belgique, les « Hauts-de-France » et dans le haut « les Pays-Bas », allez donc vous repérer avec ça.
Bref, revenons à notre couple de ch'Nord qui sont convaincus qu'en quittant les corons, ils vont enfin profiter de la douceur réputée du climat méditerranéen pour passer une retraite bien méritée. L'homme, ancien mineur de fond, a laissé sa maisonnette en briques rouges identiques à toutes les autres où ses fenêtres donnaient sur d'autres mêmes fenêtres, avec le charbon comme terre et le ciel pour horizon. Dans ses yeux si bleus reflétait tellement de joie lorsqu'ils se sont installés dans cet appartement bien douillet au rez-de-chaussée d'une petite résidence de quatre étages. Leurs voisins étaient comme eux, des gens simples qui à chaque fin de mois, comptaient les quelques euros qui leur restaient en poche pour faire leurs commissions.
Les premiers mois, en serrant la ceinture et en ne prenant plus qu'un apéro par jour, ils avaient en fonction de leur possibilité financière, refait l'appartement à leur goût. Ici, dans la cuisine, ils avaient refait les peintures, dans cette chambre et dans le couloir, ils avaient tapissé les murs d'un même papier-peint à motifs géométriques et pour cette chambre d'amis – certes peu nombreux, en fait ils n'avaient pas d'amis – ils avaient refait la peinture du plafond et recouvert le sol d'une jolie moquette bien épaisse. Quelques plantes vertes étaient venues, ci et là, agrémenter le tout, rendant l'appartement bien agréable à vivre.
Un nouveau voisin, prénommé Alphonse, venait lui aussi d'emménager l'appartement du dessus et faisait d'incessants allers-retours engendrant une gêne importante mais acceptée par le couple de retraités et le reste des résidents. Faut bien s'installer, disaient-ils ! D'autant que ce nouveau voisin, de condition lui aussi très modeste, n'avait pas l'argent nécessaire pour solliciter les déménageurs professionnels et faisait seul son propre déménagement dans une vieille mais très vielle Citroën Ax, cabossée de toutes parts.
Ce n'est qu'au bout de plusieurs jours que le petit immeuble retrouva calme et sérénité.
Le petit homme de l'appartement du dessus était plutôt discret et ne sortait pratiquement jamais de chez lui. Parfois, on le croisait dans l'escalier avec un gros sac de vingt-cinq kilo sur les épaules. Mais vingt-cinq kilo de quoi, ça personne ne le savait !
Tout irait bien si, au bout de quelques semaines, des tâches d'humidité n'apparaissaient pas au plafond de l'appartement de nos gentils retraités. Une fuite d'eau probablement dont il fallait urgemment prévenir l'occupant avant que cela ne prenne de plus graves proportions. Mais le voisin ne répondait jamais aux appels du retraité tout comme le syndic qui, dûment alerté et par lettre-recommandée avec accusé de réception, ne bougeait absolument pas.
Jour après jour, les ronds d'humidité se sont agrandis et laissent maintenant place à un goutte à goutte incessant qui s'étend à l'ensemble du plafond de la chambre d'amis, jamais utilisée, de nos retraités.
Face à cet immobilisme insupportable, les retraités n'ont d'autre choix que de faire appel à la gendarmerie. Fort heureusement, la gendarmerie est une force humaine, toujours présente et deux militaires sont immédiatement dépêchés sur les lieux. Les constatations d'usage des militaires sont faites. Effectivement des filets d'eau presque continus s'écoulent du plafond, la jolie moquette est imbibée d'eau qui éclabousse les murs fraîchement retapissés sous les godillots des forces de l'ordre. L'affaire est urgente et doit être réglée sans délai. Les gendarmes grimpent l'escalier de faux marbre blanc tacheté de points noirs. Ils ont beau frapper à la porte du voisin, celui-ci reste sourd aux appels des gendarmes. À force de cogner de plus en plus fort la porte, le locataire daigne enfin ouvrir. Entrebâillant à peine la porte d'entrée, il certifie aux militaires qu'il n'y a aucune fuite d'eau chez lui, que ni sa baignoire, ni son évier, ni la cuvette de ses toilettes ne débordent et qu'il ne subit lui-même aucun dégât des eaux.
Perplexes, les deux gendarmes insistent pour vérifier de visu les dires de l'homme qui, visiblement, ne veut pas les laisser entrer dans son logement. Ils insistent, encore et encore, se montrent un peu menaçants pour qu'enfin la porte leur soit ouverte. L'appartement est bien entretenu. L'homme est un célibataire endurci qui aime le jardinage à en voir le nombre de revues spécialisées étalées sur la table de la cuisine. Aucune vaisselle sale dans l'évier et un rapide coup d’œil sur le siphon de l'évier suffit à constater qu'il ne fuit pas.
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Pouvez-vous nous montrer la salle de bains et les wc, s'il vous plaît !
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Mais je vous répète que je n'ai pas de fuite d'eau, je m'en serais aperçu quand même !
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Où est la salle de bains ?
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Suivez-moi, répond Alphonse dépité.
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Rien à signaler, annonce le premier gendarme qui est allé inspecter la salle de bains.
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Rien non plus annonce le gendarme Patrick M. en sortant des water-closed.
Les gendarmes sont perplexes, une fuite d'eau ne peut trouver son origine que dans les pièces dites d'eau. Sinon, les fuites proviennent d'infiltrations des fenêtres, des balcons éventuellement … Ils sont prêts à rebrousser chemin en s'excusant d'avoir forcé la porte du vieux Alphonse. Pourtant le gendarme Patrick M. ne se résout pas à partir sans avoir solutionné cette énigme.
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Monsieur, pouvez-vous nous faire voir les autres pièces ?
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Ben, pourquoi, c'est une fuite d'eau que vous cherchez ou vous faites une perquisition ? Vous avez un mandat de perquisition ?
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Non rassurez-vous, pas de perquisition et le mandat de perquisition n'existe pas en droit français. Ce n'est pas une affaire judiciaire, ne vous inquiétez pas. Vous savez que l'eau suit parfois de drôles de chemins, elle peut s'écouler le long de tuyaux dans la dalle ! Affirme Patrick M.
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N'importe quoi !
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Si je vous assure, allez, s'il vous plaît ouvrez nous cette chambre, c'est en dessous qu'il y a de l'eau chez votre voisin.
Alphonse fait grise mine. Il ne veut par laisser les gendarmes entrer dans la pièce et s'est mis devant la porte pour les en empêcher.
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Bon suffit vos enfantillages, laissez-nous vérifier cette chambre ! Qu'avez-vous à cacher ? De la drogue ? Vous cultivez du cannabis ? Lui demande Patrick M.
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Non, jamais de la vie mais je ne veux pas vous faire entrer dans cette chambre !
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Pourquoi, il y a un cadavre ? Interroge soupçonneux l'autre gendarme.
Acculé, à bout d'argument, Alphonse s'efface.
Quelle ne fut pas la surprise des gendarmes en découvrant dans la pièce, un véritable jardin potager. De belles rangées bien tracées, parfaitement alignées ; des carottes, des radis, des haricots verts et dans un coin un râteau et un arrosoir rempli d'eau.
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Mais c'est quoi ce cirque ? S'insurge le gendarme Patrick M.
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Ben, c'est mon jardin !
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Mais … mais ... vous êtes fou… un jardin dans un appartement !
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Oh j'ai pris mes précautions, j'ai mis un film plastique sur le sol pour bien le protéger.
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Et la terre ?
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Quoi la terre ?
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D'où vient-elle ?
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Ben, de mon ancien jardin. Celui que j'avais dans ma maison d'avant !
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Mais comment est-elle arrivée là ?
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Je l'ai amenée dans des sacs. À chaque voyage, j'amenais deux ou trois sacs de 25 kgs. Vous savez le jardinage c'est toute ma vie, c'est ma passion alors lorsque j'ai du abandonner ma maison, je ne pouvais pas me résoudre à laisser mon jardin, je l'ai juste transporté ici. Mais si le voisin veut que je lui donne quelques légumes, c'est pas un problème, j'en ai trop pour moi tout seul.
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Alors là, c'est la meilleure de l'année, je n'ai jamais vu ça.
Inutile de vous préciser que le syndic fut rapidement alerté et que cette fois-ci, a réagi en ordonnant à la fois la suppression immédiate du jardin mais aussi la mise en demeure du locataire pour engager les travaux de réfection dans les deux appartements.
Par charité chrétienne, Alphonse n'étant somme toute qu'un pauvre diable, il ne fut pas expulsé et entretient maintenant d'excellentes relations avec son copain l'ancien mineur avec lequel il va régulièrement boire l'apéritif !
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